La fille de Souslov
Habib Abdulrab Sarori
Traduit de l’arabe par Hana Jaber
Amran a quitté Aden pour la France au milieu
des années 1970 en tant que boursier. À l’époque, son pays s’appelait la
République démocratique populaire du Yémen et se présentait comme le phare du
“socialisme scientifique” dans la péninsule Arabique. Après plusieurs années
passées en France, affecté par la perte de sa femme française qu’il aimait
passionnément, ayant perdu ses illusions de jeunesse, il rentre dans son pays,
désormais uni au Yémen du Nord, et s’y sent totalement étranger. Il rencontre
par hasard à Sanaa une prédicatrice salafiste en niqab, et il est abasourdi de
reconnaître en elle son amour d’adolescence, Hâwiya, la fille d’un grand
dirigeant du parti socialiste, surnommé Souslov, du nom de l’idéologue du parti
communiste soviétique. En renouant avec elle, il parvient à comprendre les
méthodes de recrutement du mouvement salafiste, son mode de fonctionnement et
ses relations équivoques avec la dictature militaire. Quand éclate en février
2011 le “printemps” yéménite, il est dans la rue avec ses rêves de changement
démocratique, mais les salafistes sont là aussi, et ils attendent leur heure de
gloire…
Mon
récit commence dans l’échoppe de l’Aveugle, juste avant mon départ pour Paris.
J’avais reçu une bourse pour y étudier au milieu des années 1970. Je me
préparais à quitter Aden, qui était en plein tohu-bohu de la “période de la
révolution nationale démocratique populaire”. L’échoppe de l’Aveugle était une
toute petite épicerie à l’angle de notre rue, tenue par un vieillard frêle,
pieux et aveugle, auquel je vouais une profonde affection. Je lui rendais
visite tous les jours. Je passais de longs moments en face de lui, assis sur de
gros sacs en jute remplis de sucre, de farine ou de riz. Je l’observais
circuler dans son échoppe, étonné de la dextérité avec laquelle il saisissait
les articles sur les étagères, manipulant sans assistance et avec précision les
deux plateaux de sa balance en acier rouillé, pour mesurer les quantités de
farine et de beurre que réclamaient les clientes.
Habib Abdulrab Sarori, né à Aden en 1956, est
professeur d'informatique à l'université de Rouen. Auteur de romans, de
nouvelles et d'essais, il a publié un roman écrit en français, La Reine étripée (1998).
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