mardi 11 avril 2017

Le grand marin

Le grand marin

Catherine Poulain

Toute seule sur des bateaux avec des hordes d’hommes, tu es folle… Ils rient.
Riez. Riez. Buvez. Défoncez-vous. Mourez si vous voulez. Pas moi. Je pars pêcher en Alaska. Salut. Je suis partie…






…De toute façon, je m’en vais toujours. Ça me rend folle quand on m’oblige à rester dans un lit, une maison, ça me rend mauvaise. Être une petite femelle, c’est pas pour moi. Je veux qu’on me laisse courir.

Née à Manosque en 1960, l’indocile runaway a fait, dès ses 20 ans, le tour du monde et des métiers physiques, trié les poissons dans une conserverie islandaise, ramassé des pommes au Canada, travaillé comme barmaid à Hong-Kong et surtout, pendant dix ans, pêché en Alaska. Cette expérience à haut risque, Catherine Poulain la raconte aujourd’hui depuis la France où, lorsqu’elle ne garde pas des moutons dans les Alpes-de-Haute--Provence, elle entretient des vignes dans le Médoc.
Car c’est d’abord avec son corps, on le sent bien, que cette aventurière écrit. Le corps qui n’a rien oublié de ses souffrances, de sa résistance, de son endurance et de son intempérance. Il est vrai qu’elle l’a mis à rude épreuve. Celle que ses compagnons de haute mer, rien que des mecs, appellent «Lili», «le Moineau» ou «la petite Française» embarque, sans papiers et sans rien connaître du métier, sur le «Rebel» pour la pêche à la morue noire, au flétan ou au saumon.
À bord, elle manque perdre une main, où s’est glissé le poison d’un poisson hérissé de piques, se casse deux côtes, s’abîme une jambe. Exténuée par l’effort, brisée par les chocs, statufiée par le froid, trempée jusqu’à l’os par les vagues, démontée par les tempêtes, cette petite femme aux joues rouges de chicano et aux larges mains de skipper n’abdique jamais. À peine a-t-elle remis un pied au port de Kodiak, où les autres marins «repeignent la ville en rouge», c’est-à-dire s’arsouillent, qu’elle rêve déjà, tirant sur l’orin et traînant l’aussière, de repartir à l’aube vers l’horizon.
Elle veut du dangereux, du violent, des creux de 30 mètres, humer l’air salé comme un cheval, déplacer des casiers à crabes de 300 kilos, éviscérer les poissons – elle appelle ça «le corps-à-corps avec les gisants» –, bouffer cru le cœur encore battant d’un flétan tout juste vidé – «au chaud dans moi ce cœur solitaire» –, ne plus se laver, ne plus dormir et se lover dans les bras d’un grand marin aussi rude que doux.
Cette héritière sauvage de Conrad et Melville, qui écrit «J’aurais voulu être un bateau que l’on rend à la mer», a composé, sous sa yourte provençale, un étourdissant et rugissant premier livre dont la prose évoque l’inquiétant mugissement d’une corne de brume. Il est augmenté d’un glossaire où, entre les mots «Tendering» ou «Victorinox», on trouvera la traduction littérale de «Free spirit». Esprit libre, c’est ce que Catherine Poulain est devenue, sur la mer de Béring, en même temps qu’un écrivain. Jérôme Garcin





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